La Patrouille


On avait demandé un jour à Baden-Powell, le fondateur du scoutisme, quelle place il aurait aimé tenir dans la hiérarchie de son mouvement.

— Je voudrais être chef de patrouille ..., répondit-il.

La patrouille constitue en effet la cellule essentielle du scoutisme. Une troupe d’éclaireurs n’est pas vingt-huit garçons, mais quatre fois sept garçons. C’est la réunion de quatre patrouilles, qui ont chacune leur vie propre, et qui peuvent-même rester à l’état isolé. Ainsi, parfois, dans une petite ville, un garçon d’une quinzaine d’années décide de lancer un groupe d’éclaireurs. Il réunit quatre ou cinq camarades, sort avec eux dans la campagne, les initie aux mille secrets du scoutisme, qu’il a découverts dans un livre. La patrouille ainsi formée possède une âme, une individualité.

Ce n’est que plus tard (parce qu’il faut tout de même bien avoir une existence officielle aux yeux des parents et des autorités locales !) que le chef de patrouille improvisé sollicite l’aide d’un homme majeur ; celui-ci deviendra chef de troupe et s’emploiera à recruter dans la ville deux, puis trois autres chefs de patrouille.

Toujours ce chef de troupe veillera à respecter le caractère propre de chacune des équipes ainsi placées sous ses ordres. Il saura évidemment les conseiller, leur donner des directives générales d’action, mais évitera soigneusement d’étouffer leurs initiatives et de s’immiscer (sauf nécessité) dans leur administration intérieure.

Une fois par semaine, par exemple le jeudi après-midi, le chef de troupe préside un conseil des meneurs. Les quatre C. P. (chefs de patrouille) assistés de leurs seconds (choisis par eux) sont convoqués pour entendre son mot d’ordre. À tour de rôle, ils donnent leur avis sur la sortie du dimanche passé, sur l’intérêt que présentait le programme des activités et des jeux, sur les progrès à réaliser, sur la tenue de tel ou tel éclaireur. Ils donnent ensuite au C. T. (chef de troupe) leurs suggestions pour la prochaine sortie, sur le lieu où elle se déroulera, et sur ce qu’on y fera ... Évidemment le C. T. reste le chef, sa décision demeure souveraine. Il essaie pourtant de tenir compte dans la plus large mesure possible des avis et suggestions de ses quatre chefs de patrouille.

Pourvu de ces directives, chaque C. P. va pouvoir tenir maintenant sa réunion de patrouille. À son tour, il va consulter ses garçons sur la marche de la patrouille, les erreurs à ne pas renouveler, les activités nouvelles à pratiquer.

On aperçoit sans peine les avantages que l’enfant peut retirer de cette vie de patrouille.

D’une part, la liberté qui lui est laissée pour se débrouiller dans les petites tâches qu’on lui confie développe à merveille son initiative et son sentiment de la responsabilité. N’ayant pas continuellement un adulte auprès de lui pour lui ordonner : « Fais comme je te dis » ..., il effectue, parfois à ses dépens, mais toujours, finalement, avec profit, les mille expériences du petit animal lâché seul dans la nature ...

Cet éveil de l’individualisme se trouve fort heureusement corrigé par le goût du travail en équipe, par le sens communautaire. Si le jeune éclaireur réussit une entreprise, sa personnalité s’affirme, certes, mais, comme toute la patrouille en bénéficie, il comprend l’intérêt du groupe. De même, si un de ses camarades commet une faute ou une maladresse, il sent que l’affront rejaillit sur lui : car, aux yeux de la troupe scoute, c’est moins : « Maurice a raté la cuisine des Coqs » que « les Coqs ont raté leur cuisine » ...

D’ailleurs, un concours inter-patrouilles peut venir accorder des points ou en retirer à chaque patrouille pour les succès ou les insuccès dus à l’un de ses membres. Et cela concrétise très bien le problème aux yeux des garçons !

On voit que le scoutisme parvient à cultiver harmonieusement chez ses adeptes deux qualités en apparence contradictoires : la fierté personnelle et le sens de l’équipe. Ce sont là les qualités du bon citoyen.

 

 

 

Fernand Joubrel Le Chasseur Français N°616 Octobre 1947 Page 582

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