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Scoutisme et Art

Le scoutisme et l’art

 

Des esprits mal informés adressent parfois au scoutisme le reproche d’emprisonner les jeunes dans un moule trop serré et, ce faisant, d’étouffer leur personnalité. Un des moyens de se convaincre de l’inanité de cette critique est de considérer le nombre d’artistes que le scoutisme a donnés à notre pays. Sans nous arrêter aux isolés, comme Gisèle Casadessus et J.-P. Kérien au théâtre, Bernard Blier au cinéma, nous parlerons des équipes d’hommes et de femmes qui, formés par le scoutisme, ont influencé l’évolution des divers arts d’expression.

 

Léon Chancerel et sa compagnie de « comédiens-routiers » méritent d’être cités en première place, car depuis longtemps déjà ils ont fait école. Leur manière de s’inspirer de la Commedia dell’arte italienne, avec demi-masques, jeu corporel très étudié servant un texte sobre, accompagnement musical ou bruitage, a entièrement rénové la conception des feux de camp, des séances récréatives des divers mouvements de jeunesse, et jusque des patronages. Ils ont adopté ce répertoire et les conseils de jeu et de mise en scène s’y trouvant annexés. L’adaptation de farces anciennes ou la création de farces nouvelles se prête le mieux à ce genre d’interprétation, où l’improvisation, la bonne humeur spontanée peuvent se donner libre cours. Mais des livrets plus délicats peuvent être présentés de cette façon, et n’oublions pas que Chancerel fut, comme nos metteurs en scène d’avant-garde Dullin-Jouvet et Baty, l’élève de Jacques Copeau. Les « comédiens routiers », après avoir effectué des tournées dans toute la France, dans leur « Théâtre des Quatre-Vents », ont donné naissance au centre d’études et d’expression dramatique, boulevard Richard-Lenoir, à Paris, au joyeux « Théâtre de l’oncle Sébastien » (Chancerel lui-même) pour les enfants de la capitale, à la « Compagnie Grenier-Hussenot », rendue célèbre surtout par Orion le tueur, aux « Compagnons de la Chanson », dont nous dirons un mot plus loin, et même aux « Frères Jacques », qui se font actuellement applaudir dans des « caves existentialistes » du quartier Montparnasse ! Toute la joie scoute éclate dans les productions de ces vrais « camarades de planches », troubadours de l’âge atomique. Des phalanges provinciales ont imité ce genre.

 

À Paris, le scoutisme a aussi provoqué le « Théâtre Mouffetard », dirigé par Jean Doat, ancien éclaireur, installé dans une des rues les plus populeuses de la capitale et encouragé par les critiques les plus éminents.

 

On connaît la faveur actuelle des marionnettes. Deux des plus illustres castelets sont animés par d’anciens scouts : Jacques Chesnais et Yves Joly. En province, les poupées de bois, commencent à être connues, et certains groupes d’origine scoute, tel, en Bretagne, le « Théâtre de l’Écureuil », donnent, en liaison avec les services de l’Éducation nationale, des spectacles pour les enfants des écoles et le public adulte.

 

Comme il a ses journalistes et ses radio-reporters, le scoutisme a aussi ses romanciers : Guy de Larigaudie, Jean-Louis Foncine, Serge Dalens (pseudonyme d’un magistrat scout), Georges Cerbelaud-Salagnac, Jean-Jacques Dampierre, etc. Il a ses dessinateurs et décorateurs : Jean Droit, Pierre Joubert (qui a formé de nombreux élèves), André Boeckholt, Jacques Pecnard, Cyril, les frères Saindrichen, Ric Frossard, Georgy Wetter, etc., qui ont influencé toute l’illustration des histoires pour jeunes. Le maître verrier Max Ingrand, qui avait notamment conçu des panneaux décoratifs du paquebot Normandie, vient des Éclaireurs de France.

 

Mais c’est sans doute dans le domaine du chant que l’action du scoutisme a été la plus importante. Sans parler de chorales d’enfants qui, comme celle des Petits Chanteurs à la croix de bois ou celle du centre de rééducation de jeunes délinquants de Ker-Goat, de chorales d’adultes « À cœur joie », qui sont connues par leurs auditions dans toute la France, le disque, la radio, et qui ont puisé leurs racines dans le scoutisme, montrons comment celui-ci a déclenché un mouvement décisif en faveur du joli chant. Dès après la guerre de 1914-1918, Taupin et Laval, suivis du R. P. Sévin et de Jacques Chaillet, publiaient des chansonniers qui devaient contribuer à renouveler le répertoire de la jeunesse française. Notre ancien folklore et celui de pays étrangers étaient désormais largement diffusés parmi les éclaireurs, mais aussi dans tous les groupements de jeunesse, dans les colonies de vacances. Avant la guerre de 1939, William Lemit faisait paraître ses premières œuvres personnelles et harmonisations. Certaines chansons allaient se répandre de façon incroyable, comme La Fleur au chapeau ou La Main dans la main, chantées aussi bien dans les colonnes de jeunesses politiques d’extrême-gauche que dans des pensionnats religieux pour filles. Depuis quelques années. César Geoffray, professeur au Conservatoire de Lyon, s’est imposé à son tour. Ces deux compositeurs scouts ne se contentent pas de créer et d’harmoniser des chants et de diriger leurs propres chorales. Ils organisent tout au long de l’année, et en différents points de France, des stages où ils forment à leur école des animateurs de jeunes. On peut dire que c’est beaucoup grâce à eux que la qualité du chant a fait dans notre pays un progrès extraordinaire.

Il faut encore mentionner ce « chant animé », s’apparentant à l’art dramatique, et qui est tant prisé aujourd’hui. Les virtuoses de cette technique : « Compagnons de la chanson », « Compagnons de la musique », ont pour la plupart trouvé dans le scoutisme leur joie de vivre. Ici encore, des imitateurs se sont groupés en province et parfois dans les endroits les plus inattendus. Ce n’est pas sans une agréable surprise que nous avons assisté à un spectacle donné au théâtre de verdure de l’École spéciale militaire de Coëtquidan par sept élèves officiers. En pantalon kaki et chemise blanche, ils chantèrent, avec gestes, La Chèvre et La Marie à leur général et ses adjoints. Mais l’école tout entière n’a-t-elle pas été marquée par le scoutisme, et le général qui la commande n’en sort-il pas lui-même ?

F. JOUBREL. 
Le Chasseur Français N°634 Décembre 1949 Page 798